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Écoconception web, et si ça ne suffisait pas ?

Par Richard Hanna

Conférence (50 mn) :
Langue :
Français

Le sujet

À quoi sert vraiment de se lancer dans une démarche d’écoconception ? Cela concerne quels profils ? Quels sont les référentiels et outils ? Comment faire les premiers pas et quels leviers prioriser ? Comment ne pas sombrer involontairement dans le greenwashing ?

Et si éco-concevoir un service numérique ne suffisait pas ? Comment aligner notre travail avec nos convictions personnelles ?

Présenté par

Transcription

Si vous voulez écouter l'entièreté de ce son, c'est Akiyo, Black Boat People. Je posterai les références sur les réseaux sociaux ou asociaux, on verra. Akiyo, c'est un groupe militant guadeloupéen et militant anticolonialiste notamment, indépendantiste.

Juste pour vous parler de moi, je suis originaire de la Guadeloupe. Durant la colonisation européenne des Antilles, il faut savoir qu’il y a une période esclavagiste de l'Europe, de la France. C'est un million d'esclaves qui ont été déportés d'Afrique vers les Antilles pendant deux siècles, du 17e au 19e siècle. Donc c’était il y a moins de 200 ans. Du coup, les esclaves, on a appelé ça la triste célèbre traite négrière. Les esclaves travaillaient dans les champs de plantations de canne à sucre, de bananes. C'est encore le paysage agricole aujourd'hui aux Antilles, c'est canne à sucre et banane pour l'exportation. Pour revenir, il y a deux siècles, les esclaves, certains fuyaient les plantations, fuyaient l'habitation coloniale, s'enfuyaient dans les forêts. Et pour certains, rentraient en résistance et aidaient leurs frères et soeurs également à pouvoir fuir l'habitation sucrière. Cette fuite, on l'a appelée « le marronnage » et ces esclaves, on les appelait les nègres marrons. J'y reviendrai un petit peu tout à l'heure. Puis, sachez qu'aujourd'hui encore, à moins d'un kilomètre d'ici, devant l'Assemblée nationale, trône la statue de Colbert. Colbert, c'est le ministre de Louis XIV qui a institué, qui est l'auteur du Code noir. En fait, c'est un référentiel justement de l'ensemble des sévices qu'on peut appliquer aux esclaves fuyards.

Donc, comme le disait Sylvie en introduction, donc, je suis Richard Hanna. Je suis développeur, facilitateur. Il y a à peu près huit ans, on a démarré un projet collectif de coopérative qui existe toujours, qui s'appelle Fairness, que j'ai dû quitter il y a trois ans pour m'engager dans l'administration publique, parce qu'on me proposait un sujet qui m'intéressait beaucoup, c'est réduire l'empreinte environnementale du numérique sur le périmètre administration, mais on a oeuvré également pour les collectivités, pour les entreprises.

J'ai notamment travaillé sur le référentiel général d'éco-conception de services numériques.
Puis, à mes heures gagnées et pas perdues, j'espère, comme l'a dit Sylvie, je co-anime le podcast Techologie depuis maintenant fin 2018, depuis cinq ans déjà, sur le rôle, la place du numérique dans la société, sur les enjeux sociétaux, environnementaux.

Alors, actuellement, depuis 1er septembre, je suis en jachère, je suis au chômage, chômage volontaire, j'ai ce privilège-là, puis on verra.

Je cherche là où je peux être utile à la société. J'ai un énorme privilège, je suis blanc, enfin blanc d'origine guadeloupéenne syrienne. Ça ne se voit pas, mais je reste un homme blanc, cis, hétéro, etc., avec des privilèges comme être développeur, avoir pas mal de cordes à son arc. Donc voilà, ne vous inquiétez pas pour moi.

Il y a cinq ans, j'ai pris une grosse claque et j'étais hyper en colère. Il y a cinq ans, j'étais déjà hyper écolo, entre guillemets, les éco-gestes de tri sélectif, etc., mais j'ai pris une grosse claque en 2018.

Ça a commencé par la démission de Nicolas Hulot, où je me suis dit : « Ah ouais, en fait, on peut rien y faire. » Je croyais vraiment à un souffle nouveau au niveau de l'État, au niveau des politiques. Et là, je n'y croyais plus. Et en même temps, il y a eu plein de choses.

Il y a eu le rapport du GIEC qui m'a assez bouleversé. J'ai découvert les points de bascule et des choses comme ça. J'ai eu aussi une période découverte de la Collapso avec Pablo Servigne, etc.

Bon, je suis un peu sorti de ça, parce que c'est une vision très occidentale de pays riches qui ont peur de l'effondrement, alors qu'il y a plein de pays effondrés. Comme je disais, je suis originaire aussi de la Syrie. C'est un pays complètement effondré depuis toujours, voilà. Et quand on regarde aux Antilles, ce n'est guère mieux, avec le taux de chômage, la pauvreté, la misère, la drogue, l'alcool, etc. Mais des plages magnifiques.

Et donc, j'étais hyper en colère, parce que j'ai découvert que le dérèglement climatique que je connaissais déjà, mais en fait, c'était hyper grave.

L'effondrement de la biodiversité, je n'en avais pas entendu parler. On est en plein sixième extinction de masse. Et pourquoi on n'en parle pas ? Pourquoi les médias n'en parlent pas ? Pourquoi les politiques n'en parlent pas ? Il ne se passe rien.

Il y a cinq ans, il ne se passait rien. Aujourd'hui, tout le monde en parle, mais bon, ça reste encore des petites mesurettes par-ci par-là. Et surtout, les limites planétaires aussi.

J'ai découvert tous ces concepts-là qu'on dépassait les limites planétaires, même si j'avais entendu parler qu'on consomme une planète et demie, etc. Voilà, ça passait, puis on reprenait nos activités habituelles. Et tout cela, c'est causé par nos activités, les activités humaines au point qu'aujourd'hui, on vit dans l'anthropocène. Ce sont les activités humaines qui sont devenues la force géologique la plus importante sur cette planète. C'est nous, êtres humains, qui modifions aujourd'hui l'état de la planète. Et donc anthropocène, mais pas que finalement.

J'ai découvert un autre concept qui est le capitalocène. Ce ne sont pas tous les êtres humains qui ont le même impact. Ce sont essentiellement les gens les plus riches, les Occidentaux, le capital, le capitalisme qui est en train de détruire notre maison en fait.

Donc, j'étais hyper en colère. Et en même temps, je me disais : « Qu'est-ce que je peux faire ? » J'avais tellement envie d'agir.

C'est à ce moment-là que j'ai lancé le podcast, je commençais à faire des conférences, notamment dans les conférences tech, où on découvrait le sujet et où parfois, je me suis confronté à des gens qui étaient plutôt climatosceptiques, plutôt technosolutionnistes, encore aujourd'hui, donc qui ne voyaient pas le problème et qu'on allait régler le problème, la technologie allait régler le problème. Donc, ça me mettait beaucoup en colère, mais quand même une colère saine, parce que j'avais vraiment envie d'agir.

Et donc, en tant que développeur, je me suis dit : « Qu'est-ce que je peux faire ? » Déjà, j'ai pris une mauvaise route, forcément en débutant. J'ai commencé à m'intéresser en tant que développeur à : quel est l'impact des services numériques au point de vue consommation électrique et d'électricité, du point de vue carbone. On va voir tout à l'heure, carbone, électricité, ce n'est pas du tout l'enjeu majeur dans le numérique, mais bon, voilà. J'ai proposé mon aide au think tank The Shift Project. Et donc, on a développé il y a maintenant 4-5 ans, une extension de navigateur qui s'appelle Carbonalizer, qui permet de voir un peu un indicateur carbone et d'électricité. Malheureusement, la consommation d'Internet, en tant qu'individu, quand on navigue sur Internet, combien ça donne comme équivalent carbone et en nombre de kilomètres en voiture. Vous pouvez tester l'application.

Personnellement, je n'assume plus trop cette extension de navigateur, donc Carbonalizer. Puis, pourquoi je ne l'assume pas aujourd'hui ? Je suis obligé de faire un rappel rapide, j'espère, sur les impacts environnementaux du numérique. On l'a vu hier avec Maxime, quelques chiffres, quelques éléments.

Moi, je vais prendre l'angle de vue colonial, parce que le numérique repose sur des logiques très coloniales. Je ne vais pas parler de carbone, je ne vais pas donner de chiffres, parce que vous avez les ordres de grandeur peut-être en tête, on les a eus hier. Moi, je vais prendre le point de vue colonial de pourquoi, comment on a du numérique aujourd'hui.

Aujourd'hui, le numérique repose sur de l'extraction de matière. Alors, toutes nos activités humaines reposent sur de l'extractivisme, ce n'est pas que le numérique. Le numérique, quand même, la particularité, c'est qu'il a besoin d'une diversité de matériaux du sol qui est assez importante, assez diversifiée. Et donc, l'industrie extractiviste, c'est l'industrie la plus polluante au monde, avec des règles environnementales les moins exigeantes. Pourquoi ? Parce que c'est à l'autre bout du monde. C'est en Afrique, c'est en Asie, c'est en Amérique latine. Donc, il y a très peu de contraintes environnementales.

Puis, au-delà des contraintes environnementales, il y a les enjeux sociaux, sociétaux, puisque, comme je disais, cela repose sur des logiques coloniales. Cela repose sur l'asservissement des peuples sur place. Même s'ils sont payés, il y a quand même de l'esclavage aujourd'hui, de l'esclavage d'hommes, de femmes, mais aussi d'enfants. On parle de dizaines de milliers d'enfants dans les mines, dans les gisements de Cobalt, en République démocratique du Congo. Puis, malheureusement, il y a aussi des viols, les viols des femmes pour justement asservir les hommes, les enfants, etc. Tout cela, pour nous fournir des matériaux du sol pour construire nos iPhone, nos PC, etc.

Et donc, continuons la chaîne de production, la fabrication. L'assemblage des équipements repose également sur l'asservissement d'ouvriers en Asie du Sud-Est. Je vous invite à regarder un peu les photos des usines de production d'iPhone, par exemple la Foxconn. En fait, ce sont aussi des logiques coloniales et l'asservissement des ouvriers qui sont payés très peu, et beaucoup se suicident à cause des cadences infernales de production.

À la fin de vie des équipements également, même si en France, on essaie de bien recycler, traiter les déchets, on considère qu'on est à peu près à 70 % des déchets électriques, électroniques qui sont traités en France.

Je parle de traitement en fait de déchets, je ne parle pas de recyclage, qui est un bien joli mot marketing. En réalité, on va essayer de valoriser de la matière. Recyclage, on ne va pas prendre un ordinateur pour en faire un autre. Ça n'existe pas en France, ça s'appelle le réemploi. La gestion des déchets et il n'y a pas de recyclage en nouvel équipement qui fonctionne. On va valoriser de la matière, du plastique, du métal, mais la plupart du temps, on va cramer en fait et on va produire de la chaleur et donc de l'électricité, de l'énergie. Puis le reste, on va l'enfuir dans le sol. Voilà, c'est ça le recyclage en France. Et c'est plutôt bien, parce qu'on va le faire en France, parce que de par le monde, ce n'est pas du tout le cas. On va plutôt envoyer les déchets. Les États-Unis, même au niveau européen, on envoie les déchets en Afrique, en Asie, jusqu'à peu, parce que depuis quelques années, il y a une guerre géopolitique entre les États-Unis et la Chine. La Chine refuse aujourd'hui les déchets des Américains, logiquement, et donc les Américains doivent maintenant enfouir leurs déchets électriques, électroniques dans leur sol, ce qui est plutôt pas mal.

Je parlais de la chaîne de production de fin de vie, mais à l'usage, quelles sont les logiques coloniales? Aujourd'hui, en fait, on a le numérique qui nous accapare notre temps, nos cerveaux sur les réseaux sociaux, sur les applications ludiques. C'est le fait des GAFAM, des Big Tech, et finalement, c'est une forme de colonialisme de notre temps, de notre attention, de nos données personnelles.

Face à ce gaspillage numérique, un des leviers pour nous, professionnels du web, professionnels des technologies, on va dire, au sens général, professionnels du numérique, pour réduire l'empreinte de nos services numériques, il y a l'éco-conception.

Les sites web et applications sont de plus en plus lourds, de plus en plus gourmands dans ressources informatiques, et donc, ça crée de l'obsolescence de l'équipement. C'est ça le message à retenir en fait.

Ce n'est pas une question de consommation des électricités, d'impact carbone, c'est un problème d'obsolescence des équipements.

La chose la plus importante, ce sont les équipements utilisateurs, mais il y a aussi une forme d'obsolescence et d'accélération technologique côté réseau. On parle de 4G, 5G, 6G, etc. D'accélération technologique, également, côté serveur. On n'arrête pas de rajouter des serveurs, de créer des data centers. Tout cela, c'est un problème matériel, et donc, le numérique est loin d'être immatériel.

Quand on vous parle de dématérialisation, moi, ça me fait rire.

L'éco-conception, ça consiste d'abord à réduire la consommation de ressources informatiques, et du coup, toujours prendre en compte, lorsqu'on va faire une évaluation, donc pas d'impact carbone, c'est toujours multi-indicateurs pour tenir compte de tous les impacts environnementaux, notamment l'extraction de matières, la consommation d'eau. On a besoin de beaucoup d'eau pour produire les équipements, mais aussi pour refroidir nos data centers. Ce n'est pas qu'une question d'impact carbone.

L'éco-conception, ce n'est pas une démarche à prendre sous l'angle techniciste ou technosolutionniste. Moi aussi, je suis un peu tombé là-dedans en créant des outils d'évaluation, etc. Et ça, c'est une grave erreur en fait, ce n'est pas un sujet d'optimisation technique. D'ailleurs, j'ai banni les termes d'optimisation, d'efficience.

Il faut vraiment repenser globalement les services numériques pour faire vraiment le plus sobre possible, parfois peut-être renoncer à faire des services numériques. Puis, au-delà des aspects environnementaux, finalement, l'éco-conception, je dirais, c'est même plus important que ça, c'est un enjeu social. C'est faire en sorte qu'un service numérique, un site web, une application fonctionne sur des équipements les plus anciens possible, les plus bas de gamme possible. Parce que je pense que, comme je vous ai dit, moi, je suis développeur, on a peut-être tendance à tester nos applications, nos sites web sur le dernier iPhone, le dernier Samsung, voilà, les appareils derniers cris qui coûtent un SMIC. Donc, premier point, testez vraiment vos applications, sites web sur des vieux téléphones, sur des vieux PC qui rament. C'est là où finalement vous pourrez tester que vous allez dans le bon sens.

Puis, pour être cohérent, l’éco-conception, en fait, ça ne vient pas tout seul. La démarche d’éco-conception doit s'intégrer dans une démarche globale qualité. J'en parlais tout à l'heure avec Élie, merci à toi, de l'intégrer vraiment dans une démarche d'amélioration de l'accessibilité, dans une démarche d'amélioration de la sécurité, de respect des données personnelles, etc. c'est vraiment une démarche globale. Et on est tous d'accord là-dessus. J'espère, l'éco-conception à part, c'est complètement con. Donc, ne faites pas dans ce cas-là.

J'entends souvent dire que l'éco-conception, c'est un sujet de développeurs. Pas du tout en fait, c'est un sujet de pour tous. Et je vais vous donner des exemples de métiers dont on parle peu. L'éco-conception, c'est pour les développeurs, les designers, les DevOps, les hébergeurs, etc., c'est vraiment un travail collectif à avoir pour réfléchir à comment faire le plus sobrement, le plus simplement possible, même parfois renoncer au service numérique. Le métier, le commanditaire, le client, également intégrés dans cette démarche d'éco-conception. Et donc, je disais des métiers qu'on oublie souvent et qui sont aussi très importants dans la démarche d'éco-conception, ce sont les contributeurs, les rédacteurs, rédactrices web qui ont également un rôle important à jouer, notamment lorsqu'on publie des contenus, des articles, des vidéos, des photos. Ce n'est pas le développeur, ce n'est pas le designer qui peut agir là-dessus en fait.

Pour démarrer une démarche d'éco-conception, donc, j'ai dit l'intérêt dans une démarche globale qualité déjà, prime abord. Mais je dirais, ça, je l'ai fait plusieurs fois. D'ailleurs, il y a certains qui l'ont eue, cette formation, ces ateliers, c'est de le faire de manière collective, en prenant votre service numérique, en prenant votre site web, par exemple, en définissant un périmètre et de faire un travail avant tout, avant de regarder les référentiels, les machins, les trucs, les outils qui font des calculs, des machins chouettes. Faites un exercice collectif de regarder votre service numérique, le parcours utilisateur, etc. Et vous-même, identifiez les améliorations possibles. Franchement, en une heure, ça peut se faire. Je dirais, il vaut mieux prendre une demi-journée.

Ensuite, peut-être, après cet atelier, d'identifier les améliorations, de réfléchir, de construire ensemble un manifeste d'éco-conception. Pareil, ne regardez pas les référentiels, etc. Peut-être réfléchir à comment renoncer, réduire, refuser, diminuer, etc.

Et pour cela, troisième point, ça peut être intéressant également de regarder des indicateurs techniques. Il y a beaucoup de gens qui disent : « Ouais, il y a plein d'outils. » Je dirais, le premier point avant d'installer des outils qui rajoutent des infrastructures numériques, des machins, des trucs, regardez des indicateurs techniques assez simples pour les sites web. Par exemple, le poids des pages, le poids des contenus, de tous les assets, les polices de caractère, les CSS, etc., les images, les vidéos et le nombre de requêtes. Puis, un autre indicateur qui est venu du fait des ateliers qu'on a menés avec différentes institutions, c'est le temps passé à réaliser un parcours utilisateur. Ça peut être intéressant comme indicateur également.

Quatrième point, c'est là où il va falloir se confronter au référentiel. Donc, comme j'ai dit, moi, j'ai travaillé avec certains d'entre vous ici sur le RGESN, le référentiel général d'éco-conception de services numériques. Et donc là, vous pouvez également faire un diagnostic. Donc, c'est un référentiel à la fois de bonnes pratiques, mais aussi des critères de conformité. Vous pouvez donc évaluer votre service numérique, votre site web, application, mais aussi vous pouvez réduire le périmètre. Vous pouvez le faire sur une fonctionnalité précise. Et donc, on a développé un outil qui est disponible en extension, mais aussi sous forme de tableur qui s'appelle NumEcoDiag. Voilà, vous cherchez RGESN, vous trouverez tous ces outils.

Puis, en cinquième point, je dirais, c'est une étape aussi un peu obligatoire, c'est de documenter la démarche, parce qu'on manque aujourd'hui de retour d'expérience. Documenter la démarche pour être également transparent dans la démarche, parce qu'il y a beaucoup, notamment de sociétés de SN, etc., entreprises de services numériques qui se vantent de faire de l'éco-conception, mais sans documenter la démarche. Donc, on ne sait pas du tout ce qu'ils entendent par éco-conception. Alors, quand on vous parle d'éco-conception avec derrière un bilan carbone, alors là, c'est le pire. C'est Red Flag, drapeau rouge, il y a anguille sous roche. Donc, documenter la démarche, ça peut se faire. D'ailleurs dans le référentiel, on parle de déclarations d'éco-conceptions, donc avec une trame, etc. Donc, pareil, tous ces sujets-là, ce sont des ateliers collectifs, encore une fois, à mener dans vos entreprises, dans vos organisations.

Juste à noter également, j'ai un problème également avec la complexité aujourd'hui du numérique. En fait, je trouve que c'est de plus en plus complexe. On a de plus en plus de frameworks, de versions. Cela mobilise de plus en plus de métiers pour faire des choses finalement simples. On en parlait hier de web stationnaire. C'est un sujet vraiment à creuser, de revenir à quelque chose de plus simple, moins complexe. D'ailleurs, Ivan Illich, un des penseurs de l'écologie politique dans un essai qui s'appelle La Convivialité, paru en 1972, quand j'ai lu cette phrase, je me suis dit : « Mais il parle des sites web et des applications. » En 1972, il disait : « L'outil simple, pauvre, transparent est un humble serviteur. L'outil élaboré, complexe, secret est un maître arrogant. » C'est fort.

L'éco-conception ne suffit pas. Je pense que c'est quand même utile, mais ça ne suffit largement pas. Parce que d'abord, il y a les risques d'effets rebonds. L'éco-conception, en rendant les services numériques plus efficients, plus efficaces, on va potentiellement beaucoup plus les utiliser, ce qui augmente les impacts du service au lieu de les diminuer. Il y a un sujet aussi d'externalité. Imaginez, vous faites l'éco-conception d'un site e-commerce qui vend des produits futiles. Moi, je vous invite à ne pas faire d'éco-conception en fait. Alourdissez le système. Sabotez-le. L'effet rebond est manifeste. Vous allez rendre efficient un site e-commerce qui va vendre plus de produits venus de Chine ou d'ailleurs.

Je le disais aussi, attention à ne pas s'enfermer dans une forme de solutionnisme technologique. Les technologies, pour corriger les méfaits de la technologie, c'est le hamster qui tourne dans sa roue. Puis, comme je le disais, avant de réfléchir à l'éco-conception de services numériques, de sites web, etc., il faut aussi qu'on apprenne à renoncer, à renoncer à numériser, à renoncer à dématérialiser. Et d'ailleurs, il y a un sujet d'accessibilité, le fait de dématérialiser, de ne pas proposer d'alternatives, voilà, vous connaissez ces sujets, j'espère.

Puis, renoncer à numériser et peut-être même à dénumériser, à démanteler les infrastructures inutiles. Donc hier, on a parlé de : « Est-ce qu'on doit saboter Internet ? » Moi, je ne suis pas pour. On fera une informelle tout à l'heure pour qu'on puisse en discuter. Bon en fait, il faut démanteler, mais pas saboter, en quelque sorte. Parce qu'en fait, l'optimisation, rend efficients ces outils. Saboter ces outils, en fait, on se trompe de combat, finalement.

Je n'utilise plus les termes d'optimisation d'efficacité dans l'éco-conception. Je ne parle pas de : voilà, les outils ne sont ni bons, ni mauvais, ni neutres. Il faut s'attaquer plutôt au modèle productiviste. Pourquoi on a besoin de tous ces outils ? Pourquoi on a besoin du numérique, finalement ? J'ai l'impression qu'aujourd'hui, on combat quelque chose d'assez neutre, qui n'est pas vivant en fait, qui est la technologie, qui est quelque chose de matériel qui n'est pas vivant. Alors qu'il y a des vivants derrière, en fait. Il y a des gens qui décident pour nous. C'est une question politique, en fait. Et j'y reviendrai. Donc, l'éco-conception, pour moi, c'est un prétexte. C'est un prétexte pour questionner nos pratiques et donc questionner pourquoi on consomme autant de ressources informatiques, énergétiques, etc. Puis, questionner d'abord les modèles business qui dépendent du numérique.

Je vais vous poser une question encore. Qui a pour système d'exploitation, levez la main, Windows ? Qui a pour système d'exploitation Mac OS ? Qui a pour système d'exploitation le capitalisme ?

Effectivement, le capitalisme colonial, c'est le système d'exploitation le plus installé, le mieux ancré dans le monde. Donc, on nous a parlé de trier les déchets, entamer une démarche zéro déchet, acheter local, prendre des douches courtes, faire pipi sous la douche, réduire, ne plus manger de viande, ne plus prendre l'avion, réparer son smartphone, son PC, etc. Éco-concevoir ces services numériques.

Mais finalement, ces éco-gestes, ça sert à qui, en fait ? Ce sont des éco-gestes individuels, parfois collectifs qui n’égratignent que très peu le système en place, le système capitaliste et colonial.

Pire, je me rends compte que le système l'a complètement intégré en repoussant la faute aux consommateurs, aux individus.

J'ai vu une pub Coca-Cola qui a fait des affichages en Belgique et peut-être en France. « N'achète pas Coca-Cola si tu ne nous aides pas à recycler. » Bien sûr, il n'est pas question de remettre en cause pourquoi on met de l'eau et du sucre en bouteilles, dans une bouteille plastique jetable, bien sûr.

Puis, plus de 30 ans de développement durable. Le développement durable à 30 ans, joyeux anniversaire. Ça n'a pas empêché, comme je disais, l'effondrement de la biodiversité, la croissance exponentielle des émissions de gaz à effet de serre responsables du changement climatique.

Les 17 objectifs de développement durable définis par l'ONU, c'était en 2015. Ça a été complètement détourné, galvaudé au service des entreprises dans leur démarche RSE, responsabilité sociétale des entreprises, au service du business as usual, le business comme d'habitude. Autrement dit, le statu quo.

Alors moi, j'ai cru, comme je le disais, j'ai cru en la Convention citoyenne pour le climat. C'était un super outil. Le résultat, il faut le dire, ça a été jeté à la poubelle. Je n'attends personnellement plus rien des politiques. Je n'attends rien, mais je suis quand même déçu de la planification écologique à la française qui se résume essentiellement à fournir, à subventionner le modèle to bagnoles individuelles. Des bagnoles zéro émission de carbone. Voilà, ZOÉ, Renault ZOÉ, vous savez, c'est quoi ZOÉ ? Zéro émission. Sauf qu'on oublie la production de ces machins. Et encore ZOÉ, c'est, on va dire, la plus petite voiture. Là, aujourd'hui, ce sont des SUV électriques. Bon, bref, je n'ai rien contre la voiture électrique, mais j'ai un problème avec le modèle to bagnoles, l'écologie à la française.

La planification écologique, c'est développer encore plus, toujours plus des méga infrastructures énergétiques sensibles au réchauffement climatique. Et en omettant complètement, on n'a pas du tout parlé de sobriété, là, du coup. On a parlé de sobriété l'hiver dernier. Oui, on va avoir des problèmes de gaz à cause de l'Ukraine, tout ça. On ne parle plus de sobriété, c'est fini. On continue dans la croissance verte.

Après des années d'échanges, tout ça, ce sont des ressentis, des rencontres, des lectures à travers ma vie professionnelle, mais aussi les entretiens sur le podcast Écologie, où j'ai rencontré plutôt des gens de gauche. J'ai essayé de discuter avec des gens de droite, ils n'ont pas voulu.

J'ai compris une chose, on ne peut pas changer le système actuel.

Je l'ai compris d'autant plus qu'en j'ai lu un article uppercut de Hélène Grosbois. Si vous ne connaissez pas, je vous invite à la suivre sur LinkedIn. Elle dit : « Il faut changer de système. » On ne pourra pas changer le système, cela paraît impossible comme ça de changer de système. Mais quand on regarde dans l'histoire, on a changé de système plein de fois. Donc, c'est possible.

En tant que travailleur de la tech, comme je l'ai dit tout à l'heure, en fait, nous faisons partie du problème. Nous sommes un maillon de la chaîne productiviste. Par notre travail, nous contribuons à des modèles capitalistiques, coloniaux, le profit de certains au détriment de tous, l'accaparement des ressources de la planète, l'asservissement des êtres humains, les plus pauvres et la destruction du vivant, malheureusement, par notre travail dans la tech.

Alors, pour l'évaluer, il y a un article qui a été publié par l'Institut Transitions. L'article s'intitule « Faut-il déserter nos entreprises ? » Alors, les questions, c'est :

1) ma structure a-t-elle sa place dans la société de demain ? Encore faut-il définir la société de demain, mais je pense que vous auriez une idée.

2) Mon entreprise peut-elle réellement changer ? Entreprise ou organisation ? Parce que les organisations publiques, attention, ce n'est pas non plus… voilà. Les organisations peuvent-elles réellement changer ?

3) Est-ce que moi, je peux faire bouger les lignes dans mon entreprise ?

4) Que désirez-vous vivre dans votre vie professionnelle ? Donc, c'est un questionnement de soi, en fait. Qu'est-ce que j'ai envie de faire ? Comment je peux être utile ? Et dès lors, si vous cochez non à tout ça, il faut partir, en fait. Alors, je dis ça comme ça, ce n'est pas facile. Si nous le pouvons, tout le monde ne peut pas le faire forcément, mais si nous le pouvons, si nous avons le privilège de pouvoir le faire, bifurquons, divergeons, quittons, désertons. Si vous avez une idée à développer, par exemple, il est possible de créer une entreprise.

Il y a pas mal de financements en ce moment, notamment pour toutes les startups Green Tech. Donc, prenez l'argent là où il est, parce que d'autres le font et d'autres qui font du greenwashing, honnêtement. On peut aussi rejoindre des emplois, des employeurs, des clients dont les activités ne sont pas destructrices du vivant.

L'économie sociale et solidaire, les associations, les coopératives dans les domaines de la santé, de l'économie du réemploi, l'économie de fonctionnalité. L'économie de fonctionnalité, tout ce qui est location plutôt que logique de propriété. Également, le service public, mais attention, pas tout le service public, parce que, franchement, même dans ce secteur, il y a énormément de techno-solutionnisme.

Parfois, on parle d'intérêt général, mais moi, j'ai vu aussi des choses qui ne sont pas éthiques. Voilà, le capitalisme de surveillance est partout. Puis, ne croyons pas que si on quitte nos jobs, on pourra être remplacé facilement. Il y a beaucoup de tensions sur nos emplois donc, profitons de ce privilège-là.

On peut également avoir des stratégies plus offensives. Je ne sais pas si j'aurais le temps de tout développer. Des stratégies pour nuire au système, adopter une démarche d'écologie pirate, selon le titre d'un essai que je vous invite à regarder de Fatima Ouassak. Ça peut être saboter le système, comme je disais tout à l'heure sur les sites e-commerce, ralentir, nuire au système, le rendre inefficace de l'intérieur, alourdir les sites e-commerce, comme je disais, lever le pied, travailler un jour sur deux, discrètement. Puis, ça peut être aussi réduire le temps de travail officiellement, demander un 4-5e, un 3-5e, si vous pouvez, encore une fois. Puis, le reste du temps, de le donner bénévolement, profiter des bienfaits, aussi des relations non marchandes.

Depuis un mois… enfin, ça fait des années que je donne des coups de main, mais ça fait tellement de bien de ne pas avoir de relations marchandes en fait tout simplement, de donner, de troquer du temps. Par exemple, moi, je donne des coups de main dans une ferme agro-écologique, j'ai cette chance-là, je suis en banlieue parisienne d'avoir une ferme agro-écologique à 500 mètres à pied de chez moi. Je suis privilégié, donc je donne des coups de main, je ramasse des carottes, tout ça. Je transporte du fumier. Ça sent bon, le fumier.

Vous pouvez devenir lanceur d'alerte, si vous voyez qu'il y a des choses qui sont irresponsables dans votre boîte. Alors là, c'est un peu plus tendu. Le statut de lanceur d'alerte protège davantage aujourd'hui, mais il faut avoir un peu de courage.

Sinon, vous pouvez rentrer en résistance. Et là, c'est un peu plus soft. Donc, je disais déserter, déserter nos jobs. Ça peut être diffuser la bonne parole auprès d'étudiants, auprès d'autres, auprès de vos collègues, en faisant des conférences, des ateliers.

Puis, rejoindre des collectifs parce que seuls, comme on dit, on va plus vite, mais ensemble, on va plus loin. Des collectifs informels, des associations, des tiers lieux, des coopératives, des organisations de lutte, Alternatiba, les Soulèvements de la Terre, qui ne sont plus dissous. Vous N'êtes Pas Seul, une association qui s'appelle Vous N'êtes Pas Seul, qui aide à déserter, les Désertes Heureuses.

Puis, en dernier lieu, si vous voulez quitter le monde de la tech, quittez. Vous pouvez vous reconvertir vers un autre emploi qui sera en phase avec ces valeurs.

Alors, tout ça, je dis ça comme ça, je donne des pistes. Moi, je suis en plein doute complet, je ne donne pas de leçons. Je ne sais pas du tout ce que je vais faire. Mais ce qui est important aussi, c'est la question de l'argent, la rémunération, parce que mieux on gagne sa vie, plus on a de chances que notre consommation, notre mode de vie, nos placements financiers, les remboursements de crédits à des banques, financent des énergies fossiles et donc on contribue, moi, je contribue, je suis à la Société Générale, je suis bloqué, je contribue involontairement et indirectement à la destruction du vivant, malheureusement. Dès lors, il faut essayer de vraiment réduire volontairement ses revenus. Ce n'est pas facile, mais c'est quand même quelque chose. Je vais donner un exemple, ce serait mieux.

Il y a quelques semaines, j'ai rencontré Jérémy de l'association Vous N'êtes Pas Seul, qui s'est engagée dans une démarche familiale de sobriété heureuse. Je vous passe les détails, c'est extrême, mais il m'a dit un truc. C'est un mec qui travaillait à La City à Londres, mais qui a tout quitté. Il me dit, il n'a jamais été aussi riche et heureux que depuis qu'il est passé sous le seuil de pauvreté. Puis, je vous laisse regarder le concept de refus, de parvenir, refuser de parvenir, refuser de se mettre en avant de la promotion individuelle pour que nos savoir-faire, nos compétences profitent à tous et que ça soit au profit de la solidarité. Ah oui, des choses importantes sur les caissons de rémunération quand même, si vous souhaitez déserter, ralentir, pour subvenir à ces besoins, il y a l'allocation chômage.

Profitez-en, ce n'est pas profiter du système, vous avez cotisé pour, ça, c'est important de le dire. Donc, vous pouvez profiter des allocations après un CDD. Donc, si vous avez démissionné, vous pouvez reprendre un CDD de moins 65 jours, ça vous ouvre les droits au chômage, 65 jours.

On peut également démissionner pour se rapprocher d'un conjoint ayant trouvé un emploi ailleurs. C'est une forme de cause de démission légitime qui ouvre les droits aux allocations chômage, sachez-le.

Il y a les saisons agricoles, si vous pouvez, bien sûr, physiquement, de donner un coup de main aux maraîchers, les fermes aux environs. Il y a énormément de besoins de saisonniers à chaque fois. Donc, c'est payant, ça rémunère et vous aurez les mains dans la terre. Donner des cours, comme je disais, sensibiliser, etc. Ça peut être rémunérateur, donner des cours dans des écoles, etc., plutôt que ce soient Microsoft et Google qui le font, qui convertissent les étudiants aux outils Google, Microsoft.

Donnez des cours à des étudiants, transmettez ces valeurs. Puis, point d'attention, globalement, voilà, comme je l'ai dit, l'écologie sans lutte des classes, c'est du jardinage. Le combat écologique, c'est d'abord un combat social. C'est un combat, c'est une lutte contre les dominants, un combat pour les opprimés.

Être radical, soyez radical, face au radicalisme idéologique de la croissance infinie ou de la croissance verte qui nous emmène droit dans le mur. Et je vais vous demander de fermer les yeux 30 secondes, sauf peut-être ceux qui regardent… Madame. Fermez les yeux.

Vous pouvez rouvrir les yeux, ou les garder fermés si vous voulez. Le dérèglement du climat, l'effondrement de la biodiversité, le manque d'eau sont dus à deux choses paradoxales : les activités humaines et l'inaction humaine.

Pour ne pas s'enfermer dans l'inaction, la dissonance cognitive entre nos valeurs, nos actions personnelles, notre vie professionnelle, il faut questionner nos métiers dans la tech, dans le web. Bien sûr, entamer une démarche d'éco-conception, c'est une première étape. Cette étape, comme je l'ai dit, elle est insuffisante, parce que c'est relativement indolore pour le capitalisme, pour le système qui est toujours dans le business as usual. On continue nos activités mortifères. Il faut qu'on questionne vraiment nos métiers, nos revenus, les activités de nos entreprises et pointer ce qui ne va pas. Donc, je vous invite, rejoignons des collectifs.

Et comme les esclaves aux Antilles, il y a moins de deux siècles, entrons en marronnage, soyons des nègres marrons, bifurquons, divergeons, mais surtout, faisons tout notre possible pour nuire au système capitaliste, colonial, masculiniste, sexiste, raciste, pour laisser place à un nouveau monde, respectueux du vivant, du non-vivant, non soumis aux injonctions d'une croissance infinie dans un monde aux ressources finies, mais guidé par la recherche du bonheur.